Par Kamel LATRECHE président de EIE, membre fondateur de l’UNICAB.
Les membres de notre association spécialisée dans les passereaux, s’engagent activement dans la lutte contre le braconnage des fringillidés depuis de nombreuses années par le biais d’initiatives pédagogiques. En tant que naturalistes, nous sommes pleinement conscients que chaque oiseau en moins dans la nature équivaut à un reproducteur en moins, et le braconnage représente un véritable fléau. Toutefois, il est de notre responsabilité d’évaluer nos données de terrain en les confrontant aux informations officielles, notamment en ce qui concerne le braconnage du chardonneret élégant, sujet qui attire l’attention des médias.
Récemment, une émission radiophonique sur RTL a mis en lumière la méconnaissance du sujet, des informations approximatives, non vérifiables ou inexactes.
Tout d’abord, quelle sous-espèce du chardonneret élégant élèvent les éleveurs français ?
Les éleveurs français, bagueurs affiliés aux fédérations françaises ornithologiques UOF, CDE, FFO, AVIORNIS, ANGCE, élèvent majoritairement (90% ) une sous-espèce du chardonneret élégant, le Carduelis carduelis frigoris, ayant pour nom vernaculaire chardonneret de Sibérie. Cette sous-espèce ne niche pas et ne migre pas en France ; elle est très démocratisée dans les élevages français depuis 30 ans. Majoritairement, les chardonnerets élégants d’élevage en phénotype ancestral sont porteurs de mutations domestiques listées dans l’arrêté du 11 août 2006. Ces spécimens en phénotypes ancestraux sont soumis à une réglementation stricte avec des autorisations administratives délivrées par le service vétérinaire de la préfecture, la DDPP. Les éleveurs français ne s’intéressent pas à l’espèce nicheuse française qui n’est pas populaire. Les mutations chez le chardonneret élégant, listées dans l’arrêté du 11 août 2006, sont libres de détention, sans formalité particulière. Bien évidemment, les éleveurs doivent répondre aux besoins physiologiques et comportementaux. Des éleveurs capacitaires français mettent en place des programmes concernant la sous-espèce Carduelis carduelis parva, nom vernaculaire le chardonneret espagnol, car cette sous-espèce est en voie de disparition au Maghreb.
– RTL : Le trafic d’oiseaux parfois plus lucratif que le trafic de drogue !
Les incohérences du reportage radiophonique sur RTL “Le trafic d’oiseaux parfois plus lucratif que le trafic de drogue” (lien vers le reportage https://www.rtl.fr/programmes?search=chardonneret) soulèvent des questions sur la source citée. D’après nos recherches, aucun rapport ne confirme cette affirmation. Il est également important de se demander si de telles déclarations ne risquent pas d’inciter les trafiquants de drogue à s’orienter vers le braconnage, moins « risqué » d’un point de vue pénal.
Rapport 2022 concernant les stupéfiants en France : “En 2022, 37 793 condamnations ont été prononcées pour des infractions liées au trafic de produits stupéfiants” comparons aux chiffres officiels du trafic de chardonnerets élégants en France en 2022.
Les chiffres officiels du trafic de drogue en France en 2022, selon le document du ministère de l’Intérieur “BILAN 2022 LUTTE CONTRE LES DROGUES”, indiquent une saisie de 128,6 tonnes de cannabis (1 286 000 000 euros), 27,7 tonnes de cocaïne (1 800 500 000 euros), et 1,4 tonne d’héroïne (42 000 000 euros).
Les données officielles du trafic de chardonnerets élégants en France en 2022 ne sont pas disponibles.
Mais dans le rapport OFB de 2020, il y a eu 339 procédures administratives, concernant tous les spécimens confondus. La source est le rapport OFB 2020 (RAPPORT_OFB_2020_bdf_pp.pdf).
Dans le rapport de 2022 de l’OFB, le chardonneret élégant n’est pas cité comme une espèce subissant un trafic plus lucratif que la drogue, contrairement à ce qui est avancé. Le rapport pointe d’autres espèces objets d’enjeux financiers, tels que le commerce illicite d’anguilles, la vente importante de tortues d’Hermann sans origine légale, et l’évolution préoccupante des ventes d’animaux de compagnie comme les grands perroquets, les reptiles ou les petits félins.
Le rapport de 2022 fait état de 5500 spécimens saisis, dont 833 vivants (servals, caracals, tortues terrestres, etc.). Ces saisies concernent la détention illégale de spécimens nés en captivité comme du braconnage sans distinction. Cependant, le grand trafic de chardonnerets braconnés en France n’est mentionné nulle part dans ces chiffres.
En 2022, il y a eu 362 avertissements judiciaires. https://www.ofb.gouv.fr/sites/default/files/Fichiers/Plaquettes%20et%20rapports%20instit/RA_OFB2022.pdf.
Ces chiffres sont facilement accessibles. Comment se fait il que les journalitses ne les exploitent pas ou les modifient ? Probablement pour pour renforcer l’interêt du sujet et peut être aussi pour influencer l’opinion et susciter le rejet de l’aviculture.. En analysant de plus près ces informations, on remarque facilement qu’elle sont erronées.
– RTL : Concours clandestin de chant de chardonneret en France
En France, il n’y a pas de concours de chant organisé avec des chardonnerets braconnés. Il y a une confusion avec les pratiques en Espagne, où des concours de chant basés sur un chant coppia sont organisés avec des juges évaluant le chant. Cette confusion révèle une méconnaissance de la réalité du terrain et des informations approximatives. Certes, il existe des amateurs de chant de chardonnerets en France qui ne sont pas en grande partie affiliés aux Fédérations Françaises Ornithologiques. Ils apprécient généralement le chant du chardonneret du Maghreb plutôt que celui de France, car le chardonneret de France a une note (ziinng) qui le disqualifie, ressemblant à la note du pinson. Les notes appréciées sont celles de la mésange, du rossignol, etc. Le boniment exclusif à celui du Maghreb est la note pliwpliw. Les amateurs de chant du Maghreb n’ont pas de standards de chants ; il existe plusieurs chants différents selon les régions.
Parfois, certains amateurs de chant peuvent pratiquer la technique de la “cage en cage”, ce qui signifie que deux mâles chardonnerets chantent et que le plus fort en chant fait taire l’adversaire. Ou bien, des amateurs de chant peuvent écouter ensemble un chardonneret chanter, et des petits groupes de 2 ou plus vont l’évaluer. Cela reste toutefois très marginal.
– RTL : Un chardonneret élégant en phénotype ancestral braconné en France peut se vendre jusqu’à 1500 euros
D’où vient cette affirmation fantasmatique ? Avez-vous une preuve issue d’un dossier judiciaire ou d’une transaction de 1500 euros entre un braconnier et un receleur concernant le chardonneret élégant qui niche en France ?
On voit bien que les saisies concernent souvent des petites quantités, elles sont toujours trop nombreuses, et nous les condamnons. En 2023, il y aurait eu 350 chardonnerets élégants saisis en France, selon la journaliste. Parmi ces 350, on note des détentions illégales de sujets nés en milieu contrôlé et du braconnage, et de l’importation illégale. Selon les données scientifiques, il y aurait entre 2 à 4 millions de chardonnerets en France, avec une moyenne d’environ 3 millions. Si on reprend les chiffres de saisies de l’OFB cela représente un pourcentage de 0,00012 % d’oiseaux prélevés en France. Si on multiplie le trafic par 10, on serait à 0,0012 %, et si on multiplie par 1000 le trafic, on serait à 0,12 %. Ces pourcentages reflètent bien la réalité que nous remonte du terrain, qui reste marginale. L’élevage participe à lutter contre le braconnage, et les éleveurs experts capacitaires, en pratiquant l’élevage de conservation, participent à la préservation de la biodiversité. Pour pouvoir traquer les brebis galeuses, il faut pouvoir s’appuyer sur des études fiables, sourcées, documentées. L’honneur des journalistes serait d’y travailler.
Voir aussi > Unicab et les médias – Lettre à France Télévision
